De la recevabilité judiciaire des enregistrements sonores subreptices


Si la valeur probatoire de l’aveu ne fait pas débat, étant encadrée en matière civile par l’article 1354 du code civil et en matière pénale par l’article 428 du code de procédure pénale, les conditions dans lesquelles il est recueilli pour sa validité font davantage l’objet de débats ; particulièrement lorsque l’aveu est tiré d’un enregistrement sonore réalisé à l’insu de l’auteur des propos. Recevable ou irrecevable ? Telle est la qualification qu’il revient à la Cour de cassation d’opérer.

La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Shenk du 12 juillet 1988, retient que « si la Convention [européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne ». Il convient de distinguer la matière pénale, d’une part, et la matière civile, d’autre part. Les intérêts protégés étant de nature différente, ceux de la communauté des citoyens dans le premier cas, les libertés individuelles dans le second, le traitement de la preuve relève de régimes différents.

En matière pénale, la question de la recevabilité d’un enregistrement subreptice se pose sous la forme suivante : convient-il d’admettre que la preuve d’une infraction soit établie selon un moyen dont l’obtention résulterait elle-même d’une infraction ? Répondre par l’affirmative peut heurter l’éthique judiciaire en ce que l’office du juge peut avoir pour support la commission d’un délit pénal, celui d’atteinte à la vie privée d’autrui prévu à l’article 226-1 du code pénal. Répondre par la négative peut être un frein à la recherche des coupables et à l’attente légitime de répression, notamment des infractions les plus graves. La Cour de cassation a tranché. Un arrêt de la chambre criminelle du 27 janvier 2010 retient qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête, au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale et qu’il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à la discussion contradictoire ». Notons que l’expression « au seul motif », préférée à celle d’« au motif », réserve une marge d’appréciation aux juges : tout sera question de proportionnalité.

La récente « affaire Bettencourt » apporte un éclairage supplémentaire. Des enregistrements réalisés clandestinement au domicile de Liliane Bettencourt par son majordome ont été remis aux enquêteurs. Dans un arrêt de la chambre criminelle du 31 janvier 2012, la Cour de cassation admet la validité de ces enregistrements clandestins dès lors que ceux-ci constituent « des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement, et que la transcription de ces enregistrements, qui a pour seul objet d’en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation ». Ainsi, un enregistrement réalisé à l’insu de l’auteur des propos peut donc être produit en justice et est recevable dès lors que le juge pénal l’a soumis à la discussion contradictoire.

En matière civile, l’article 9 du code de procédure civile fait obligation aux parties « de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès » de leurs prétentions. Sur la base de cette formule elliptique, le juge doit départager moyens de preuve légaux et illégaux. Le moyen de preuve reposant sur un enregistrement réalisé à l’insu d’une personne est ainsi, selon un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 7 octobre 2004, « un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue ». Dans une décision du 7 janvier 2011, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, se prononçant en matière de contentieux commercial, rappelle que « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ». Le communiqué de presse de la Première présidence attachée à la décision du 7 janvier 2011 est limpide : « en statuant ainsi, la plus haute formation de la Cour de cassation marque son attachement au principe de la loyauté, qui participe pleinement à la réalisation du droit fondamental de toute partie à un procès équitable et s’applique en tout domaine ».

La notion de loyauté invite, en matière civile, à ne produire que des enregistrements réalisés avec le consentement de l’auteur des propos. Une telle exigence a été affirmée avec force en droit du travail. Dans un arrêt de principe du 20 novembre 1991 rendu au visa de l’article 9 du code civil, la chambre sociale de la Cour de cassation retient en effet que « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite ». L’exigence de loyauté explique, par exemple, que lors d’un appel vers une plate-forme téléphonique de service client, un message informe le consommateur que sa conversation avec un conseiller peut enregistrée.

Les objectifs du droit pénal légitiment la recevabilité de moyens de preuve déloyaux dès lors qu’ils permettent d’assurer la protection de la communauté des citoyens. En matière civile, la notion de loyauté permet d’assurer le respect de la vie privée. Elle est toutefois laissée à l’appréciation souveraine du juge du fond, ce qui ouvre un champ à l’incertitude.

Par NeoBarreau
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